C'est en des situations particulières, lors desquelles il faut mettre en pratique ses cours de "gestion d'équipe", "management de personnel" et autres fadaises qu'un mouvement d'empathie profond envers les professeurs de notre enfance se fait ressentir. Un enfant est turbulent, il joue, il crie, il se dissipe, mais le ramener à la raison est assez facile, il suffit de hausser le ton plus haut qu'il ne saurait le faire. Pour un adulte, mise à part le menace de corvées - somme toute ridicule - ou bien de rétrogradation - cas extrême - il est difficile de rappeler à l'ordre. A moins d'avoir une aura telle que le charisme du personnage "en impose".
Lorsque l'on est plongé dans ses doutes, en revanche, le charisme chute de manière exponentielle.
Konstantin attendait, non sans appréhension, l'équipage qui devait se regrouper séant, afin d'annoncer la couleur de ce qui les attendait dans une grosse sixaine d'heures. Les embrouilles qu'il avait eues avec certains membres de l'équipage le hantaient toujours, et son apparente confiance en lui-même avait révélé un profond malaise en son sein. Non qu'il ne l'eût ignoré, mais il l'avait toujours bien - ou mieux - dissimulé. A présent, c'était autre chose.
*Un peu de fatigue... L'angoisse de la mission...*
Et l'angoisse de diriger pour la première fois une équipée sauvage dans des conditions inconnues, en pleine tempête. Ce n'était plus un exercice, il n'avait aucun droit à l'erreur. Toute erreur se solderait en perte humaines, et ça... aucune simulation ne pouvait dire ce que ça faisait réellement.
Être méthodique. "Prendre la raison par le bon bout," se souvint-il, d'un vieux, très vieux livre qu'il avait lu, sur une mystérieuse histoire d'agression dans une chambre close de l'intérieur.
Ah, comme il était plus simple d'obéir simplement aux ordres, de ne pas avoir à réfléchir, d'appliquer à la lettre ce que l'on nous imposait. Mais combien cela pouvait être aussi lâche, et irresponsable, surtout dans son cas.
Il n'avait pas été nommé commandant d'escadrille pour rien, non plus ! Il avait toujours passé les simulations haut la main. Il suffisait de se convaincre que ce n'était rien d'autre qu'une simulation, un peu plus réaliste, voilà tout. Se persuader.
Se persuader.
Se persuader.
Facile à dire.
Le premeir pilote arriva, alors que Konstantin était perdu dans se pensées. James. Bon. Un bon pilote, très bon élément.
"Yop. C'est ici, pour préparer la sauterie ? Si y'a besoin, j'amène la boisson, j'ai encore quelques stocks, et j'ai cru comprendre que sur Mars, ils étaient pas très fournis en boutiques de pinard..."
Bon, la tenue, le formalisme, ce n'était pas encore cela. Mais il aurait été inutile de tergiverser outre mesure. Vu la manière dont cela s'était fini avec Eva, la fois précédente.
"Bonjour capitaine, prononça-t-il, marquant cependant fortement le "bonjour". Non, pas de boisson dans les heures à venir, je vous veux aussi sec qu'une paillasse."
Sans l'avoir vraiment désiré, son ton était passé d'une politesse soutenue à des résonances cassantes sur la fin de la phrase. Il tenta de se rattraper.
"Après, je ne vous dit pas... pour panser les plaies," marmonna-t-il dans sa barbe...
« Salut la comp...! Faudra penser à demander une vrai salle un jour pour les briefing chef, ce serait mieux. Car là, ça craint. »
Ca, c'était Hazel... qui déboulait toujours comme un chien dans un jeu de quilles. Pareil, les règles strictes auxquelles le chef d'escadrille croyait depuis son plus jeune âge lui semblaient inconnues. Il soupira.
"Bonjour deuxième classe... toujours ce respect assez inflexible des règles... Une salle serait parfaite, mais il faudrait agrandir le vaisseau. A moins que vous n'ayez envie de serrer quelques boulons dans l'espace, nous ne serons forcé de rester dans le hangar..."
Il ignora la remarque qu'elle fit à Stewart, toujours à moitié absorbé par ses pensées, qui tournaient maintenant autour du sujet "que vais-je bien leur raconter ?".
Un larsen, un souffle, des grincements et "Hazel, c’est gentil de me contacter, mais il serait bon de débuter cette réunion le plus rapidement possible. Est-ce que le commandant Korazov est là ?" fut éructé par l'intercom.
"Il est là, lieutenant, il est là, nous sommes en stand-by pour l'instant, le temps que l'escadrille se rassemble..."
A peine eut-il prononcé ces derniers mots que les derniers manquants à l'appel firent irruption, chacun son tour.
"-Soldat Rosépine, pilote de l'escadrille Halloween, a vos ordres Mon Commandant!"
Tiens, un peu de vieilles valeurs traditionnelles certes inutiles, mais précieuses pour le qu'en-dira-t-on... Si jamais il y en avait un dans l'armée.
« Tu bloques le passage, Gamin. » non, là non plus, ce n'était pas ça...
Suivi de : "Sous-lieutenant Hawkins présente mon commandant"
Au moins la lieutenante le soutiendrait pendant son pénible exercice... peut-être !
Mais le plus rude arriva alors, Eva arriva, pensive, plus soucieuse qu'à son habitude, et alla se ranger rapidement près d'Hazel. Korazov repensait à la discussion qu'ils avaient eue, plus tôt, et qui était partie d'un malentendu - du moins voulait-il le croire. Il avait peu de temps après reçu la démission de la jeune pilote, ce qui l'avait pour le moins abattu. Il se sentit tout à coup extrêmement nul, comme il l'avait ressenti peu de temps auparavant.
Prenant sa respiration pour se calmer, il enleva ses lunettes, se frotta les yeux, reposa ses verres correcteurs sur son nez, et salua les nouveaux venus, avec un signe de tête pour chacun.
"Première classe... Sergent... Lieutenant... Seconde classe..." Une pause. "Capitaine, lieutenant, pouvez-vous venir par ici, s'il vous plaît ?"
"Comme vous le savez, nous nous dirigeons tout droit sur Mars, avec pour objectif de venir en aide à l'ordinateur à personnalité qui y est resté... Pour être très honnête, nous ignorons tout, ou presque, de ce qui nous attend sur place. En définitive, nous y allons les yeux fermés, avec un bandeau par-dessus, inutile de vous dire que les dés semblent légèrement pipés... Mais vous êtes Halloween, de ce point de vue, je ne m'en fais pas."
Un petit compliment au milieu pour non seulement dégeler l'atmosphère qui semblait s'être figée, mais aussi par sincérité, Nimue avait une escadrille pour le moins efficace.
"Il nous faut donc établir un plan d'arrivée, nous ne pouvons prévoir aucune attaque précise. En revanche, mettre au point un ensemble de stratégies potentielles que nous pourrons appliquer une fois en combat, c'est pour cela qu'il nous faut toutes les idées possibles afin de prévoir le spectre d'opportunités le plus large qui soit. Nous devrons décharger non seulement rapidement, mais de manière disparate. Compte tenu du manque d'information dont nous disposons, il est indispensable de travailler de manière coopérative, en tandem, peut-être, et non de simplement se soutenir comme en une classique bataille rangée. Des questions ?"
Il marqua une pause, espérant des interrogations impromptues. Pour être honnête, il espérait aussi que les deux officiers comprennent ce qu'il essayait de dire, la tactique qu'il prévoyait en cet instant, afin d'obtenir, d'une manière ou d'une autre, leur consentement. Après tout, ils étaient bien plus expérimentés qu'il ne l'était lui-même...