« Un peu spéciale, elle est célibataire
Le visage pâle, les cheveux en arrière
Et j'aime ca… »
Fredonnait une voix grave mais suave, puissante mais délicate.
Un jeune homme était assis sur une banquette luxueuse. Mais il ne regardait pas le spectacle des étoiles qui défilait devant lui à travers une immense baie vitrée. Les yeux fermés, il laissait libre court à ses émotions à travers la douce mélodie de son instrument.
« Elle se dessine sous des uniformes tendues
Et j’imagine des histoires défendues
C'est comme ca »
A demi-nu, son grand corps finement musclé ruisselait encore de l’eau de la douche qu’il venait de prendre. Sa basse posée sur ses genoux couverts par un pantacourt kaki dont les boutons ouverts laissaient apparaître un boxer blanc, emplissait la chambre d’un rythme lent…
« Tell'ment si belle quand elle sort
Tell’ment si belle, je l'aime tell'ment si fort. »
Le rythme s’accéléra alors comme les battements d’un cœur pris par le bon stress d’une entrée sur scène.
« Elle a les yeux revolver ! Elle a le regard qui tue !»
Il se souvenait parfaitement du jour où elle l’avait « tué ». Il n’avait rien demandé à personne. Il se rendait simplement dans le Centre de Loisirs pour une petite séance de cinéma, quand, rêvassant quelques peu, il vit à la dernière minute une porte de coursive s’ouvrir devant lui. Se protégeant de ses bras, il cogna dans la porte et, se retrouvant déséquilibré, chuta. Lorsqu’il releva les yeux, il eut le souffle coupé. Se trouvait devant ses yeux bleus ahuris la plus belle paire de nichons qu’il n’ait eu le privilège et le plaisir d’approcher. Relevant vivement le regard (instinct de survie, quand tu nous tiens) il rencontra alors une paire d’yeux de toute beauté : un vert étincelant, grisant, qu’encadrait une chevelure d’un roux flamboyant.
« Elle a tiré la première, m'a touché, c'est foutu !»
L’infortuné vira pivoine et resta cloué au sol alors qu’elle était toujours penchée vers lui, s’excusant et lui demandant si tout allait bien. Il fut bien incapable de lui répondre quoique ce soit. Finalement, appelée ailleurs ou bien pressée (il n’en savait rien) elle s’en alla, le laissant là, assis par terre, le visage plus rouge que les cheveux de la belle, un sourire totalement débile collé dessus.
« Un peu largué, un peu seul dans les airs
Le corps tendu, les cheveux en arrière
Et j'aime ca ! »
Le rythme était fort. Son pied nu et sa tête battaient maintenant la mesure, sa chevelure bleutée répandant devant lui de fines gouttelettes d’eau.
Il rêvait d’elle. Souvent. Et ces rêves-là, des rêves de jeune homme de 22 ans, étaient sensuels, ardents, dévorants. Ils le laissaient toujours pantelant de sueur à son réveil.
Mais se réveillait-il vraiment ? Ou ne vivait-il qu’un rêve envoûtant où la tentation mêlé d’interdit le rendait fou ?
Pourtant il n’était pas Shitennô à devenir fou. Il était même plutôt quelqu’un de calme et sensé. Ayant grandi un peu plus tôt que prévu lorsque son père mourut sur un chantier, il était devenu alors l’homme de la maison, veillant sur son frère et sa mère, ramenant de l’argent pour aider financièrement sa mère qui avait du mal à joindre les deux bouts. Oh, on ne pouvait pas dire qu’il ait eu une enfance facile mais dire qu’elle a été difficile, serait mentir également. Il restait un Shitennô qui aimait s’amuser et voir les gens autour de lui rire et prendre du bon temps.
« A faire l'amour sur des malentendus
On vit toujours des moments défendus
C'est comme ca »
Côté sentimental, le Shitennô n’était pas un romantique dans l’âme mais il savait quoi faire pour séduire une femme. Se montrer charmant, protecteur, prévenant, il savait le faire. Lui, c’était plus le genre à faire rire les femmes (car femme qui rit à moitié dans ton lit, c’est connu) qu’à montrer les biceps… quoique, ca aussi il le faisait. Après tout, il avait de quoi épater la galerie, alors autant mettre toutes les chances de son côté. Le physique comptait aussi voir autant pour les femmes que pour les hommes. Et comme il n’était pas trop mal foutu, cela l’aidait dans ses conquêtes. Même si parfois, elles lui tombaient dessus sans prévenir.
Rachelle.
Celle-là, il ne l’avait pas vu venir… ni repartir. Fille du fleuriste qui officiait non loin du chantier sur lequel travaillait le Shitennô, elle avait de la suite dans les idées cette jeune femme. Un jour, elle passa le prendre au beau milieu de la journée. Il protesta, lui disant qu’il devait travailler, qu’il risquait de se faire virer mais rien n’arrêta la demoiselle qui tira son damoiseau hors de la cité. Arrivée au bord d’un lac, à l’abri des regards, elle lui donna un cours de biologie très particulier…
« Tell'ment si femme quand elle mord
Tell'ment si femme, je l'aime tell'ment si fort »
Mordu, il l’avait été. Elle l’avait totalement rendu dingue. Dingue d’elle, de son corps, de son âme. Mais Rachelle avait vogué vers d’autres cieux, laissant le travailleur à son chantier, le corps et le cœur endeuillé de ce départ précipité.
« Elle a les yeux revolver ! Elle a le regard qui tue !
Elle a tiré la première, m'a touché, c'est foutu !»
Depuis, il avait aimé et quitté bien d’autres. Recherchant peut-être inconsciemment sa belle à la robe blanche et au sourire éclatant.
« Son corps s'achève sous des draps inconnus
Et moi je rêve de gestes défendus
C'est comme ca »
Le rythme se calme.
Rachelle le quitte. Amélia l’envahit.
Le rythme s’accélère à nouveau, devenant plus puissant.
Il rêve. Il ne peut faire que ça. Rêver.
Intouchable, elle l’est.
Il le sait.
Mais les muses ont peut-être parfois besoin d’être inaccessibles pour pouvoir durer. Le musicien ne le sait pas. Il s’en fout.
Un bip sonore retentit soudain dans toute la pièce, stoppant net la mélodie. Relevant la tête, ses yeux bleus recherchèrent d’où pouvait bien provenir ce son perturbateur. Il aperçoit enfin son datapad, agenda électronique dernier cri, bref le truc qui lui rappelle ses rendez-vous.
Il posa sa basse et se leva. Il saisit l’engin et y lit :
« Répétition dans 30 minutes. Départ souhaité dans 5 minutes. Rappel dans 5 minutes »
Il soupira et reposa l’objet. Il retourna ensuite dans la salle de bain. Quelques secondes plus tard, le Shitennô en ressortit avec son pantacourt de boutonner, et une chemise blanche fermée. Il rangea sa guitare dans son étui et la plaça sur son dos. Saisissant son PDA, il quitta sa chambre.
Sur la porte, on peut y lire l’inscription suivante :
« Byron Harrow »
Une voix s’éleva alors doucement dans les couloirs. Tel un murmure, on pouvait entendre :
« Un peu spéciale, elle est célibataire
Le visage pâle, les cheveux en arrière
Et j'aime ca… »
Dernière édition par Byron Harrow le Dim 29 Juin 2008 - 22:35, édité 1 fois