Il y a des jours comme ça où il ne fait pas bon se lever. Parfois pourtant on a l'impression que tout va mal aller, mais non, un évènement se produit et permet de se dire que la journée n'est pas perdue. Mais souvent ce n'est qu'une illusion (à peine une sensation). Et c'était là tout le drame du directeur du casting. Il n'était pas là pour perdre son temps avec des gens incapables de jouer convenablement une scène pourtant simplissime. C'est vrai quoi ? Jouer la mort de son personnage par suicide, tout le monde pouvait le faire, mais non, on lui refilait des tocards.
Oh, pas le genre de tocards qui se repèrent au premier coup d'oeil, mais des tocards qui ne se voient pas, la pire espèce. Parce que dans le groupe des tocards, on peut distinguer plusieurs espèces. Tout d'abord ceux qui se voient rapidement, ceux qui n'ont qu'une occupation dans la vie se faire virer des castings. Eux c'est simple, il leur suffit d'apparaître en scène pour qu'on leur dise, que oui on les rappellera. Mais il existe aussi les tocards discrets. Ceux qui ont de la prestance, du charisme, mais qui par un cruel destin ne peuvent aligner deux mots, ou bien encore ont une voix à faire pâlir d'envie le plus crispant des crissements d'ongle sur les tableaux noirs, ou enfin une allure incompatible avec le rôle. Et là, il n'avait eu que ça devant lui. C'était si compliqué de trouver un acteur pour jouer un ado dépressif qui se suicide avant de revivre ?
Oui, le concept n'était pas réaliste, on avait pas encore vu de mort renaitre de leurs cendres, mais bon tout le reste arrivait tous les jours, des ados dépressifs il y en avait des tonnes, voire même des milliards dans tout le cercle alors pourquoi est-ce qu'on ne lui envoyait aucun gosse digne de faire l'affaire. Alors qu'il prononçait d'un ton las le mot : Suivant. Il soupira à nouveau, on lui envoyait vraiment n'importe qui pour jouer dans la pièce. C'était une pièce destinée aux plus grands, aux membres les plus influents du Cercle et il fallait que tout soit parfait. L'auteur était mort depuis peu et l'hommage se déroulerait à l'Atome Crochu. Il faut dire que Karl Von Statahausen était un auteur célèbre et respecté. Bon, surtout célèbre par ses frasques qui impliquaient souvent des jeunes femmes de l'Atome Crochu, mais on ne peut pas tout avoir dans la vie.
Et là, ils allaient jouer Le Phénix une pièce sur l'adolescence et la difficulté d'être jeune dans la société actuelle. Un gros coup de publicité pour la boite qui allait peut-être redorer son blason auprès des autorités, s'ils jouaient du vrai théatre dans la salle de spectacle pourquoi pas les laisser faire ce qu'ils voulaient dans les autres salles ?
Le gamin était sur scène et le directeur du casting secoua la tête, il n'avait pas le physique de l'emploi. Jamais l'auteur n'avait mentionné un Shitenno pour le rôle. Mais il n'avait jamais mentionné que c'était impossible. On verrait bien. Mais bon, il était trop jeune, certainement mineur, oui il fallait mieux pour incarner un ado, mais embaucher des mineurs pour l'Atome Crochu revenait à donner le bâton pour se faire battre. Et puis son air gentil, candide, son sourire jovial et son allure encore enfantine n'allait pas du tout avec le personnage torturé recherché. Sans compter qu'il faudrait lui arranger ses cheveux verts qui partaient dans tous les sens. Que ses yeux étaient trop bleus et trop confiants. Que ses pommettes rosées étaient trop mignonnes. Bref, qu'il n'allait pas du tout pour le rôle. Mais au point où il en était le directeur n'avait pas trop le choix. Il pencha la tête vers sa feuille et lu le nom.
Iréno Oreska, c'est bien ça ? Vous avez tout juste 18 ans ? Mais quand êtes vous né ?
Le garçon ne cessa pas de sourire, restant droit sur la scène, comme s'il effectuait un salut militaire et le directeur du casting ne pouvait que se dire qu'il n'avait pas cet âge. A 18 ans (j'ai quitté ma province) on ne mesurait pas à peine 1m60, on n'était pas aussi fin et longiligne, non c'était impossible. A moins d'avoir un retard de croissance, mais avec la médecine moderne ...
Puis il prit la parole, une voix douce et posée, comme s'il avait compris les tracas du directeur et qu'il voulait l'apaiser par sa simple voix. Et le pire c'était que cela fonctionnait.
J'ai quelque peu triché sur mon age effectivement. Mais si j'avais indiqué 16 ans, né le 13 novembre 3317, m'auriez vous auditionné ?
Il avait marqué un point, mais jamais un enfant ne pourrait jouer dans une telle pièce, c'était impensable, impossible, totalement incongru. Oui, l'intrigue impliquait un ado, mais l'ado devait se donner la mort ! Et avant il devait se droguer, déprimer, enfin quoi pas ce qu'un acteur de cet âge pouvait savoir faire, quelque soient ses références. Et d'ailleurs, il n'en avait indiqué aucune dans la fiche. Alors il avait beau être très gentil, cela n'irait pas. L'honnêteté et la franchise étaient deux belles qualités mais qui allaient le desservir.
Désolé, mais je ne peux pas te laisser passer l'audition, et puis tu n'es pas fait pour le rôle.
Le garçon sembla un instant perdre son sourire, puis il revint en force, restant fixé sur ses lèvres alors qu'il se reculait pour aller vers le fond de la scène. Le directeur se dit qu'il avait fait le bon choix quand un cri déchirant se fit entendre. Jamais il n'avait entendu un cri pareil, c'était le désespoir à l'état pur et il eut envie de monter sur scène consoler le garçon. Mais il ne le devait pas, l'autre devait apprendre à essuyer des refus, même secs s'il voulait grandir. Et alors qu'il allait prononcer le mot magique : Suivant. Il vit l'enfant se rapprocher du devant de la scène, le visage totalement ravagé par les larmes et un tel désespoir déformant ses traits qu'il ne savait pas s'il voyait encore le même garçon. Non, il allait le laisser passer le casting et tenterait de lui faire entendre raison. Il ne pouvait rester de marbre face à ce visage. Et alors qu'il allait lui dire de tenter, de sécher ses larmes, l'enfant sortit un couteau et tomba à genoux devant lui.
Si ma vie se résume à cette succession d'échecs à quoi cela sert que je vive ? Pourquoi moi resterais-je là alors que depuis toujours je vois les morts autour de moi. On me l'avait dit, je suis indigne de vivre, indigne d'exister. Je ne suis rien, rien de plus qu'une erreur de jeunesse que ma mère me reproche maintenant. Et qui donc pleurerait ma mort ? Personne, pas même ceux qui se disent mes amis. Eux qui m'ont donné dans l'espoir unique de recevoir. Eux qui m'ont laissé, abandonné alors que j'avais besoin d'eux. Et les adultes ? Ils n'ont jamais vu que j'allais mal, que mon coeur était en miettes, que chaque erreur de ma part n'était qu'un appel à l'aide. Une manière d'appeler au secours, de leur demander de me tendre la main. Comme si j'étais un petit être fragile, moi aussi je veux être protégé, je veux connaitre l'amour des miens, le réconfort des bras des amis, la douceur des caresses d'une mère aimante et l'amour d'une fille bien. Mais non, je n'ai connu que la peine et la détresse, pas de douceur ou de tendresse. Ma vie n'est plus rien, et je ne pourrais plus être. Bonjour à toi qui me voit de là haut, je viens te rejoindre, mon amour, ma vie, mon âme.
La lame du couteau se teintait de rouge en même temps que les poignets du jeune garçon qui venait de s'ouvrir les veines sur scène. Le directeur restait là, sans bouger, incapable de faire le moindre geste tandis que la vie s'écoulait lentement du corps de l'enfant. Le corps s'affaisa et ne bougea plus alors que les yeux se fermaient sur la douleur et que les lèvres formaient le mot Adieu une dernière fois. Il était mort.
Oh, pas le genre de tocards qui se repèrent au premier coup d'oeil, mais des tocards qui ne se voient pas, la pire espèce. Parce que dans le groupe des tocards, on peut distinguer plusieurs espèces. Tout d'abord ceux qui se voient rapidement, ceux qui n'ont qu'une occupation dans la vie se faire virer des castings. Eux c'est simple, il leur suffit d'apparaître en scène pour qu'on leur dise, que oui on les rappellera. Mais il existe aussi les tocards discrets. Ceux qui ont de la prestance, du charisme, mais qui par un cruel destin ne peuvent aligner deux mots, ou bien encore ont une voix à faire pâlir d'envie le plus crispant des crissements d'ongle sur les tableaux noirs, ou enfin une allure incompatible avec le rôle. Et là, il n'avait eu que ça devant lui. C'était si compliqué de trouver un acteur pour jouer un ado dépressif qui se suicide avant de revivre ?
Oui, le concept n'était pas réaliste, on avait pas encore vu de mort renaitre de leurs cendres, mais bon tout le reste arrivait tous les jours, des ados dépressifs il y en avait des tonnes, voire même des milliards dans tout le cercle alors pourquoi est-ce qu'on ne lui envoyait aucun gosse digne de faire l'affaire. Alors qu'il prononçait d'un ton las le mot : Suivant. Il soupira à nouveau, on lui envoyait vraiment n'importe qui pour jouer dans la pièce. C'était une pièce destinée aux plus grands, aux membres les plus influents du Cercle et il fallait que tout soit parfait. L'auteur était mort depuis peu et l'hommage se déroulerait à l'Atome Crochu. Il faut dire que Karl Von Statahausen était un auteur célèbre et respecté. Bon, surtout célèbre par ses frasques qui impliquaient souvent des jeunes femmes de l'Atome Crochu, mais on ne peut pas tout avoir dans la vie.
Et là, ils allaient jouer Le Phénix une pièce sur l'adolescence et la difficulté d'être jeune dans la société actuelle. Un gros coup de publicité pour la boite qui allait peut-être redorer son blason auprès des autorités, s'ils jouaient du vrai théatre dans la salle de spectacle pourquoi pas les laisser faire ce qu'ils voulaient dans les autres salles ?
Le gamin était sur scène et le directeur du casting secoua la tête, il n'avait pas le physique de l'emploi. Jamais l'auteur n'avait mentionné un Shitenno pour le rôle. Mais il n'avait jamais mentionné que c'était impossible. On verrait bien. Mais bon, il était trop jeune, certainement mineur, oui il fallait mieux pour incarner un ado, mais embaucher des mineurs pour l'Atome Crochu revenait à donner le bâton pour se faire battre. Et puis son air gentil, candide, son sourire jovial et son allure encore enfantine n'allait pas du tout avec le personnage torturé recherché. Sans compter qu'il faudrait lui arranger ses cheveux verts qui partaient dans tous les sens. Que ses yeux étaient trop bleus et trop confiants. Que ses pommettes rosées étaient trop mignonnes. Bref, qu'il n'allait pas du tout pour le rôle. Mais au point où il en était le directeur n'avait pas trop le choix. Il pencha la tête vers sa feuille et lu le nom.
Iréno Oreska, c'est bien ça ? Vous avez tout juste 18 ans ? Mais quand êtes vous né ?
Le garçon ne cessa pas de sourire, restant droit sur la scène, comme s'il effectuait un salut militaire et le directeur du casting ne pouvait que se dire qu'il n'avait pas cet âge. A 18 ans (j'ai quitté ma province) on ne mesurait pas à peine 1m60, on n'était pas aussi fin et longiligne, non c'était impossible. A moins d'avoir un retard de croissance, mais avec la médecine moderne ...
Puis il prit la parole, une voix douce et posée, comme s'il avait compris les tracas du directeur et qu'il voulait l'apaiser par sa simple voix. Et le pire c'était que cela fonctionnait.
J'ai quelque peu triché sur mon age effectivement. Mais si j'avais indiqué 16 ans, né le 13 novembre 3317, m'auriez vous auditionné ?
Il avait marqué un point, mais jamais un enfant ne pourrait jouer dans une telle pièce, c'était impensable, impossible, totalement incongru. Oui, l'intrigue impliquait un ado, mais l'ado devait se donner la mort ! Et avant il devait se droguer, déprimer, enfin quoi pas ce qu'un acteur de cet âge pouvait savoir faire, quelque soient ses références. Et d'ailleurs, il n'en avait indiqué aucune dans la fiche. Alors il avait beau être très gentil, cela n'irait pas. L'honnêteté et la franchise étaient deux belles qualités mais qui allaient le desservir.
Désolé, mais je ne peux pas te laisser passer l'audition, et puis tu n'es pas fait pour le rôle.
Le garçon sembla un instant perdre son sourire, puis il revint en force, restant fixé sur ses lèvres alors qu'il se reculait pour aller vers le fond de la scène. Le directeur se dit qu'il avait fait le bon choix quand un cri déchirant se fit entendre. Jamais il n'avait entendu un cri pareil, c'était le désespoir à l'état pur et il eut envie de monter sur scène consoler le garçon. Mais il ne le devait pas, l'autre devait apprendre à essuyer des refus, même secs s'il voulait grandir. Et alors qu'il allait prononcer le mot magique : Suivant. Il vit l'enfant se rapprocher du devant de la scène, le visage totalement ravagé par les larmes et un tel désespoir déformant ses traits qu'il ne savait pas s'il voyait encore le même garçon. Non, il allait le laisser passer le casting et tenterait de lui faire entendre raison. Il ne pouvait rester de marbre face à ce visage. Et alors qu'il allait lui dire de tenter, de sécher ses larmes, l'enfant sortit un couteau et tomba à genoux devant lui.
Si ma vie se résume à cette succession d'échecs à quoi cela sert que je vive ? Pourquoi moi resterais-je là alors que depuis toujours je vois les morts autour de moi. On me l'avait dit, je suis indigne de vivre, indigne d'exister. Je ne suis rien, rien de plus qu'une erreur de jeunesse que ma mère me reproche maintenant. Et qui donc pleurerait ma mort ? Personne, pas même ceux qui se disent mes amis. Eux qui m'ont donné dans l'espoir unique de recevoir. Eux qui m'ont laissé, abandonné alors que j'avais besoin d'eux. Et les adultes ? Ils n'ont jamais vu que j'allais mal, que mon coeur était en miettes, que chaque erreur de ma part n'était qu'un appel à l'aide. Une manière d'appeler au secours, de leur demander de me tendre la main. Comme si j'étais un petit être fragile, moi aussi je veux être protégé, je veux connaitre l'amour des miens, le réconfort des bras des amis, la douceur des caresses d'une mère aimante et l'amour d'une fille bien. Mais non, je n'ai connu que la peine et la détresse, pas de douceur ou de tendresse. Ma vie n'est plus rien, et je ne pourrais plus être. Bonjour à toi qui me voit de là haut, je viens te rejoindre, mon amour, ma vie, mon âme.
La lame du couteau se teintait de rouge en même temps que les poignets du jeune garçon qui venait de s'ouvrir les veines sur scène. Le directeur restait là, sans bouger, incapable de faire le moindre geste tandis que la vie s'écoulait lentement du corps de l'enfant. Le corps s'affaisa et ne bougea plus alors que les yeux se fermaient sur la douleur et que les lèvres formaient le mot Adieu une dernière fois. Il était mort.
Dernière édition par Iréno Orëska le Lun 14 Juil 2008 - 14:02, édité 1 fois