Un peu de musique ?
1 – THE KNIGHT
1 – THE KNIGHT
Elie n’aurait jamais dû quitter la sécurité de la civilisation pour ce pays barbare. Ici, les meilleurs hommes devenaient des sauvages. Et dire que certains parlaient d’apporter la civilisation en Terre Sainte… Elie avait perdu la foi, comme on disait, en constatant que les autochtones se comportaient mieux que les siens. Il avait décidé de jouer le jeu à sa façon, même s’il était sans doute trop jeune pour espérer survivre longtemps en temps que mercenaire. Oui, Elie, fils d’un grand seigneur français, à dix-sept ans, louait ses maigres compétences à l’épée au plus offrant, dans la ville d’Acre, pour survivre. Jamais il n’aurait pu imaginer une chose pareille, quelques mois, à peine, auparavant. La déchéance totale… Alors qu’Elie n’avait demandé qu’à faire de son mieux. Finalement, il avait fui le seigneur qu’il servait et qui le terrifiait. Oh, il ne le regrettait pas. Seulement, sans appui, il était perdu, dans ce pays étranger.
Et Dieu qu’il y faisait chaud ! Elie maudit copieusement son gambison, son haubert et son surcot, tout en essuyant la sueur de son front blanc. Il savait bien qu’il ne survivrait pas longtemps sans le heaume dont il venait de se débarrasser. Mais qu’il aille au diable ! Elie étouffait sous cette fichue boîte de métal. Il songeait même à couper sa magnifique chevelure amarante, comme la plupart des soldats l’avaient fait, ici, ô combien inesthétique cela pouvait être. Mais pour l’heure, Elie avait encore une lourde masse ondulante de cheveux d’un rouge soutenu, nouée en catogan. Et encore, même attaché, les cheveux d’Elie lui descendaient le dos jusqu’aux fesses. Elie en était extrêmement fier et finalement, il ne les couperait pas.
Le jeune soldat s’engagea dans une rue quasiment déserte et ombragée. Il en avait assez de cette foule compacte et de cette poussière qu’il soulevait à chaque pas. Et il n’y avait pas que la chaleur qui le faisait souffrir. Ce soleil infernal s’amusait à brûler sa peau si blanche et si fragile. Une peau si douce qu’elle attirait les convoitises, Elie en avait fait l’amère expérience. Il ne maniait même pas assez souvent l’épée pour avoir des cals sur les mains. Non, celles-ci restaient invariablement fines et aristocratiques. Mais il les gardait bien au chaud dans ses épais gants de cuir. Il n’était pas sûr de gagner l’estime de ses collègues en les montrant.
En parlant de collègue… Egbert s’approchait d’Elie d’un pas conquérant. Il marchait toujours d’un pas conquérant, de toute façon. C’était facile, quand on était un géant. Même si beaucoup d’hommes étaient des géants aux yeux d’Elie. Non, ce n’était pas Elie qui était petit, c’étaient tous les autres qui étaient trop grands. Simple question de point de vue.
Egbert s’arrêta près d’Elie avec un sourire bienveillant aux lèvres. Il tapota le crâne du jeune garçon de sa grosse paluche et Elie fit une moue boudeuse.
« Du neuf, petit ?
- Cesse de m’appeler ainsi. Non, je n’ai rien vu. C’est normal que tu viennes me demander ça toutes les heures ? »
Egbert parut mal à l’aise. Il se mit à regarder partout autour de lui. Cette méfiance gagna Elie qui eut subitement l’impression qu’on observait le moindre de ses faits et gestes.
« Oui, c’est normal. Je travaille pour lui depuis longtemps, tu sais. Et lorsqu’il recrute autant de mercenaires, c’est qu’il craint quelque chose, quelque chose dont il ne peut pas parler ouvertement.
- Comme quoi ?
- Qu’est-ce que j’en sais, moi ? C’est un grand seigneur et il sait des choses qui dépassent un simple mercenaire comme moi.
- De belles paroles… Crois-moi, ce n’est pas si compliqué que ça, un grand seigneur. »
Egbert dévisagea Elie en silence.
« Qu’y a-t-il ?
- Certains disent que tu le connais mieux que nous tous.
- C’est ridicule.
- Pardon, Elie, je ne voulais pas t’offenser. »
Elie soupira.
« Ce n’est pas grave, mais je me demande comment tu as pu survivre aussi longtemps à son service en étant aussi peu discret.
- Tu parles avec la voix de la sagesse, Elie. À l’avenir, j’éviterais de me mêler des affaires du seigneur. »
Sur ces paroles, Egbert donna une violente accolade à Elie et lui souhaita bon courage avant de s’éloigner.
Elie le savait, il n’aurait jamais dû accepter ce travail. Il allait avoir des ennuis, c’était certain. Il soupira une nouvelle fois et reprit sa ronde. Les passants le regardaient d’un drôle d’œil, comme toujours. Elie s’y était fait. Il pouvait comprendre que les gens puissent être choqués de voir un soldat d’allure aussi juvénile et surtout, aussi féminine. En effet, le visage d’Elie faisait immédiatement penser à celui d’une femme, ce qui ne rendait pas les choses faciles, lorsque l’on cherchait du travail. En fait, cela avait toujours généré beaucoup de difficultés pour Elie. Et c’était en partie à cause de son visage d’une exceptionnelle beauté qu’il en était là où il en était aujourd’hui. Il était tout en courbes fines et gracieuses. Seul son nez était parfaitement droit. Il avait encore de grands yeux d’enfants, bruns clairs, qui pouvaient prendre la couleur de l’or suivant l’éclairage. Ces mêmes yeux étaient bordés de cils longs, sombres et courbés, ce qui accentuait évidemment son aspect féminin. Ses sourcils étaient bien dessinés mais peu fournis. Elie était d’ailleurs parfaitement imberbe, alors pour donner l’impression d’un homme viril, c’était plutôt raté. Pour couronner le tout, les lèvres d’Elie, sans êtres épaisses, étaient pulpeuses et roses comme celles d’une jeune fille.
Aussi esthétique pouvaient être ces détails, ils n’avaient jamais été utiles à Elie. Il pouvait se faire passer pour une femme, s’il le voulait, mais personne, pas même Elie ne pouvait vouloir être une femme. En tant qu’homme, Elie avait sa liberté. Enfin… Plus ou moins.
Un bruissement d’ailes fit lever les yeux d’Elie. Des pigeons s’envolaient d’un toit et le jeune garde se demanda un instant qu’est-ce qui avait bien pu les effrayer.
2 – PLUCKED FROM TIME
Elie eut à peine le temps de voir une silhouette bondir du toit et se jeter en travers de son chemin. L’assassin neutralisa Elie sans difficulté et ce dernier ne comprit pas exactement comment il avait procédé. L’homme maintenait fermement ses bras dans son dos d’une main, tandis que de l’autre, il glissait une lame effilée sous sa gorge.
Elie savait bien que ce travail ne lui apporterait que des ennuis. Mais il aurait tout de même préféré avoir l’occasion de se défendre. Il était déjà mort.
« Dis-moi tout ce que tu sais de ton maître, si tu veux vivre.
- Tu vas me tuer, de toute façon.
- Tu ne parleras pas ? »
Elie garda le silence. La voix de l’assassin n’était pas désagréable, mais ce n’était pas une raison suffisante pour lui céder quoi que ce soit.
« Tu en sais plus que quiconque sur lui.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? C’est peut-être vrai, mais aucune des informations que je peux te fournir ne te serviront.
- Tu dois bien connaître ses habitudes. Dis-moi tout et ta mort ne sera pas veine.
- Belle consolation. Mais je te le dis, je ne vois vraiment pas en quoi le fait qu’il ait un grain de beauté sur la fesse gauche peux t’aider… »
Ce fut au tour de l’assassin de rester silencieux. Comme c’était mignon. Elie eut un léger sourire.
« Ça te choque ?
- Tu es répugnant. »
La pression de la lame se fit plus forte sur la gorge d’Elie. Celui-ci déglutit puis eut un rire jaune.
« Comme s’il m’avait laissé le choix. »
Un nouveau silence s’installa entre les deux hommes.
« Dors en paix. »
La lame mordit brusquement la chaire d’Elie qui sentit son sang s’écouler de sa plaie en même temps que la chaleur de son corps. La vie était en train de lui glisser entre les doigts alors que l’assassin accompagnait doucement son corps dans sa chute.
Elie se débattit pour garder la vie à l’intérieur de son corps, mais une immense obscurité le gagna.
Elie aurait dû aller en Enfer. Ou au Paradis, à la limite. Mais cela ne ressemblait à rien de tout cela. Il faisait si sombre… En fait, non, pas tant que cela. Il y avait des étoiles. Oui, Elie nageait dans un ciel étoilé qui s’étendait à l’infini. Enfin, « nager » n’était pas le terme exact puisqu’il marchait tout à fait normalement. Sur rien de tangible, mais il marchait. C’était effrayant. Qu’en pensaient les autres ? Les autres ? Quels autres d’abord ? Elie regarda partout autour de lui et découvrit sept autres personnes, apparemment aussi perdues que lui. Le sol sur lequel ils marchaient tous finit par apparaître. C’était un pont noir qui menait à un terrifiant château, perdu au milieu des étoiles. Elie avait peur, mais il était excité, aussi. Il savait qu’on allait lui offrir une nouvelle vie, peu importait à quoi elle allait ressembler.
« Bienvenue… »
3 – LIQUID ETERNITY
Forever poussa un soupir.
« Alors ta décision est irrévocable ?
- Irrévocable… Mais… Tu n’es pas obligé, tu sais, je peux mourir, aussi. Je ne veux pas que tu le regrettes par la suite.
- Je ne peux pas décemment te laisser mourir.
- J’ai déjà expérimenté, c’est pas si dramatique…
- Non, non et non ! »
Elie eut un grand sourire. Forever était mignon, à sa façon. Très bizarre, bien sûr. Mais mignon.
« Tu ne regretteras pas, alors ?
- Bien sûr que si. Je vais forcément le regretter : je m’attache à tous les humains que je rencontre. »
Elie ne put se retenir : il éclata de rire. Forever fit ce qui pouvait correspondre à une sympathique moue boudeuse.
« Ce n’est pas drôle.
- Détrompe-toi : ça l’est. »
Forever soupira encore. Et avec sa curieuse façon de se déplacer, il fit demi-tour et d’un signe de sa main effilée, il ordonna à Elie de le suivre. Celui-ci se sentait toujours un peu perdu dans cet étrange endroit. C’était un vaisseau spatial. Lana lui avait expliqué dix fois, mais Elie avait toujours du mal à comprendre tout ça. Forever lui avait dit que cela viendrait avec le temps. Pour l’instant, Elie s’émerveillait de tout comme un enfant qu’il était encore. Forever lui fit traverser un couloir dont la longue baie vitrée donnait sur l’espace. Elie fut ébloui par un grand soleil blanc.
« C’est mon étoile… »
Elie hocha la tête, sans vraiment bien comprendre ce qu’il avait voulu dire par là. Ils poursuivirent leur chemin et entrèrent dans une nouvelle salle pleine de machines bizarres. Elle était très bien éclairée et rangée, malgré la foule d’objets étranges qui l’encombrait.
Forever indiqua d’un long doigt un curieux fauteuil horizontal.
« Allonge-toi là-dessus. »
Elie obéit et alla s’allonger sur l’engin infernal. Et Forever se mit à faire tout un tas de petites choses auxquelles Elie ne comprenait pas grand-chose. Il installa des petits tuyaux souples, des poches aussi transparentes et souples que les tuyaux. Enfin, Forever s’assit doucement sur une chaise à côté de lui. Il s’enfonça une aiguille dans son bras et les tuyaux en aspirèrent un liquide d’une couleur située entre le bronze et l’or. Ensuite, Forever activa un système de robinet et s’arma de l’un des tuyaux rempli de liquide, également équipé d’une aiguille. Il la planta doucement dans le bras d’Elie.
Et ils restèrent ainsi longtemps.
Elie ne comprenait pas comment tout cela marchait, mais il comprenait bien que Forever était en train de lui donner son sang…