Histoire :
"Papa, ma mère, c'est qui?"
"Tais-toi, passe-moi l'assistant GMAO. Si tu sais ce que c'est."
"Logiciel de gestion de maintenance assistée par ordinateur. Le Laptop rangé dans le tiroir de gauche."
"...hum."
"Laisse tomber."
La fillette s'exécuta sans discuter, un air blasé déplacé sur son visage de gamine d'à peine sept ans, semblant la vieillir par une fausse sévérité. Elle savait que son père était un Ase qui n'avait que très peu de patience, et parfois elle culpabilisait de lui poser sans cesse la même question. Njord Mimir éduquait sa petite fille seule depuis que cette dernière avait deux ans, sa mère ayant déserté le domicile familial sans raison, mais avec tout le fric. Ainsi Frigg n'eut pas le n'eut pas le temps de connaître l'unité familiale, puisque ses parents se séparèrent lorsqu'elle eut à peine un an. Pourquoi? Ca arrive les gens qui se trompent de personne, vous ne croyez pas? De toute façon, l'erreur est humaine. Toujours est-il que la mère de Frigg délégua étrangement sa garde à son père, manque de temps, d'intérêt, blablabla... allez savoir, c'est du passé tout ça. Le père de notre jeune demoiselle était un charmant gros bonhomme tout débordant de tendresse et de bedaine, aux cornes impressionnantes après lesquels il s'amusait parfois à accrocher toutes sortes d'ustensiles de travail. Technicien de maintenance dans une usine, ne pouvant faire garder sa fille, il l'emmenait régulièrement au travail, où elle devint vite la mascotte de l'équipe de maintenance. Elle grandit entourée de gaillards peu fortunés mais grands de cœur, un peu rustres, dans une ambiance très populaire.
Toute petite, la gamine sans sourire aux cornes ridiculement petites dépassant à peine de sa masse de cheveux indisciplinés crapahutait dans les conduits et grimpait aux tours activées, explorant mieux qu'elle le pouvait, sous les hurlements de son père apeuré. Elle était nulle à l'école, car la seule chose qui semblait éveiller son intérêt et éclairer son visage éternellement morne s'appelait Maintenance systématique, périodique ou programmée, conditionnelle ou prévisionnelle, graphique PERT ( initiales de Program Evaluation and Review Technique, litt. « technique d'évaluation et d'examen de programmes »)... Adolescente, elle commença à pouvoir travailler avec son père et son équipe de joyeux techniciens, ordonnant son temps de travail en Diagramme de Gantt, réglant ainsi les tâches de toute l'équipe. Frigg devenait bien plus qu'une mascotte. Les méthodes de planification de maintenance, tout comme les réparations elle-mêmes, la passionnait, et elle se sentait un peu plus en vie lorsqu'elle faisait une analyse AMDEC (Analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité), et ses yeux morts pétillaient d'un réel éclat lorsqu'elle manipulait ordinateurs, quantifieurs, câbles et autres fer à souder.
Frigg était une enfant étrange, qui n'eut jamais d'amis, et surtout pas de son âge. Les gamins ne l'intéressait pas, car la plupart étaient méchants, et se moquaient de ses cornes minuscules, et de son physique qui se rapprochait de plus en plus de l'homme a un âge où les Ases commencent à avoir leurs premiers émois. Frigg n'en eut jamais, rejetée des autres, préférant alors s'isoler dans son monde de mots compliqués et d'assistance aux machines, trouvant que s'apitoyer sur son sort était plus facile que de tenter de le combattre. Elle atteint sa quinzième année sans que ses cornes de grandissent depuis qu'elle avait six ans. Des cornes de bébés, et toujours la souffrance de ne pas être comme les autres. Un corps ingrat, comme beaucoup d'adolescent, mais une souffrance morale présente, l'enfonçant dans la marginalité à un âge où le psychisme est si fragile, et la voici qui sombre dans la spirale de la déprime. Très vite ce qui passionnait Frigg commença à devenir labeur, et elle se laissa de plus en plus aller, ignorant les remontrances de son père. Quelle importance finalement son avenir, puisqu'elle serait éternellement rejetée par les autres? Pourquoi se moquait-on d'elle? A cause de son physique androgyne? A cause de ses cornes ridicules? A cause de l'origine sociale de son père? A cause du fait que sa mère s'était barrée avec tout l'argent familial, et le voisin du dessus? La jeune Ase trouva un plaisir insoupçonné dans la mélancolie, y puisant de la beauté, comme l'on fait avec la drogue. Très vite, son comportement devint de plus en plus flegmatique et renfermé, quand bien même elle se remit à l'électronique, passant le plus clair de son temps à travailler, souvent à la place de son père quand ce dernier dormait ou prenait sa pause. Elle n'avait que cela dans sa minable vie de "Sans Cornes", et l'amour de son paternel... qui lui sera bientôt retiré.
Un monde d'ordinateurs. Un monde de machine, froide et impersonnelles. Ses confidentes silencieuses, qui l'écoutaient sans se plaindre, sans la juger, sans la rejeter ou la haïr. Frigg aimait cela, les trucs clinquants, les bidules clignotants, les tableaux de bords, les conduits et les câbles. Elle aimait connaître exactement la quantité de joules appliquée à chaque choses, pouvoir mesurer l'intensité d'un courant électrique et le dériver. Elle prenait soin de quelque chose, de quelqu'un, elle guérissait les blessures, elle prévenait des maladies. Frigg était une sorte de médecin des machines, dans sa vision, les traitant avec un infinie gentillesse. Peu à peu, s'entourant de ce monde étrange et merveilleux, les cornes de l'Ase se mirent à pousser. Pas beaucoup, mais c'était encourageant. Entourée de la chaleur bienfaisante des machines, de leur vapeur, courant électrique, de leur vrombissements maternelles et de leurs diodes multicolores, ses cornes de bébés tombèrent, sans souffrance, et bientôt de belles cornes à l'aspect de nacre commencèrent à pousser, en accord avec son allure livide. Cela dit ce bonheur ne dura pas.
Un jour où elle aidait son père dans la réparation d'un engrenage complexe qui ne recevait les informations de la console que par intermittence, Frigg assista à la mort de son seul parent, glissant dans le complexe mécanique, le corps rapidement broyé. Cette vision ne la quitta plus jamais. Ses cornes nacrées tombèrent sans même qu'elle ne souffre, s'appauvrissant en kératine au point de se désolidariser de la base de la corne, lui laissant des cornes brisées, encore plus ridicule que ses cornes de bébés. Elles ne repoussèrent jamais. Ce fut donc son oncle et sa tante qui l'élevèrent du mieux qu'ils purent, pourtant la jeune fille, grandissant dans une famille nombreuse et chaleureuse, n'éprouva jamais pour eux la moindre once d'amour. On peux dire qu'elle n'éprouva plus jamais la moindre once d'amour tout court, toute indifférente au monde qui l'entourait qu'elle fut. Pour essayer de la consoler de la mort de son père, et la tirer de son apathie pathologique qui se transformait en autisme, son oncle l'inscrivit dans un centre de formation technique où elle put parfaire et étendre ses connaissance. Elle développa ses talents de techniciennes corrective, préventive et adaptative, faisant évoluer les applications à sa charge en les enrichissant de fonctions ou de modules supplémentaires, ou en remplaçant une fonction existante par une autre, voire en proposant une approche différente à ses compagnons de travail. Frigg se sociabilisa quelque peu, en contact avec des jeunes partageant sa passion, mais pas son point de vue.
Mais tout cela était lassant. Comme le binaire, ces gens-là n'était qu'une suite logique de 0 et de 1, inintéressants au possible. Frigg voulait quelque chose de différent, de l'aventure, des machines plus perfectionnées. Il y avait bien les Vivenefs, et leur "personnalité". Ce principe l'intéressa au plus haut point, cependant la jeune Ase recherchait une personnalité différente, proche de la sienne. Une personnalité de Vivenef triste, à qui elle pourrait parler, qu'elle pourrait comprendre et consoler. Cet objectif ne la quitta plus, alors qu'elle réalisa qu'elle se sentait totalement apatride, étrangère aux Ases, avec des envies de voyage. Quittant Asgard pour se rendre sur Troie, un planète aride et inhospitalière, l'Ase débarqua à Dédale, après ses études, avec la ferme intention d'en apprendre plus sur les Vivenefs, quitte à passer dans l'illégalité. Du moment qu'on ne lui demandait pas de se battre... C'est là qu'elle entendit parler de celle dont elle allait tomber amoureuse.
Pandore.
Pandore, toi qui portes en ton sein les malheurs du monde. Comme dans la légende, la Vivenef dissimulait la souffrance dans son ventre, les cales pleines d'armes vendues illégalement. Dès que Frigg fut mise au courant, elle ne put plus faire marche arrière. Embarquant sur Pandore, elle sut que la Vivenef était fait pour elle, et que ce serait "Pandore et pas une autre". Frigg se sentait étrangement vivante à bord de Pandore, donnant tout ce qu'elle a pour la soigner ou prévenir ses blessures. L'Ase rêvait de pouvoir lui parler, prenant soin avec tendresse de ses consoles, conduites, systèmes mères et auxiliaires, avec une telle triste affection que cela se changea en amour. La jeune technicienne Ase comprit alors que ce devait être elle qui devait gérer les soins apporter à la triste Pandore, espérant peut-être lui redonner un peu de bonheur. Pour réconforter la Vivenef, l'Ase continuait à travailler seule, même quand ses collègue d'équipe faisaient leur pose, parfois quand ils dormaient... elle voulait rester seule, toute dévouée aux soins de Pandore, comme une amante fidèle lui prouvant sa tendresse. C'était également un moyen pour que ses équipiers ne lui posent pas trop de question sur la raison pour laquelle elle entretenait la Vivenef avec tant de ferveur. Car Frigg est certes renfermée, mais loin d'être idiote, et nombreux sont les gens qui ne comprendraient pas ce qu'elle ressent, et qui encore une fois se moqueraient d'elle, voir pire. Frigg continua son petit bonhomme de chemin, inconnue de la plupart de l'équipage car vivant presque dans les conduits, dans la salle des machines... pour ne pas délaisser Pandore au profits de ces créatures qui ne pouvaient pas la comprendre. Car Frigg était persuadée que Pandore était une incomprise. Elles avaient peut-être en cela un point commun.
Cela dit un nouvel événement tragique perturba la vie de Frigg Mimir. Deux petites semaine après son embarquement à bord de la Vivenef, cette dernière fut attaquée par un vaisseau du gouvernement de Troie, qui semblait filer les contrebandiers. Les pertes furent terribles, aussi bien matérielles que vivantes. L'Ase fut profondément traumatisée de cette attaque, peu habituée à la violence, et lui revint en tête dans ce carnage la vision de la mort de son père. Mais tout cela alla de mal en pis, et sa déprime se changea en dépression quand elle se rendit compte des blessures occasionnées à Pandore, son amour. La Vivenef était dans un sale état, et Frigg se mit à travailler comme dix, avec une ferveur surnaturelle, pour apaiser Pandore de sa souffrance. L'Ase en dormait de moins en moins, prenant à peine le temps de manger, se négligeant de plus en plus. La santé de la Vivenef était plus importante. Une muette colère monta peu à peu en elle, à l'encontre de l'équipage de contrebandiers qui plus ou moins se "servait de Pandore". Frigg leur en voulait, et le changement de Commandant et de Second n'y changea rien. Si Pandore avait été blessée, si elle souffrait, c'était à cause d'eux.
La colère de la jeune femme resta passive, une graine semée dans sa tête qui enjolivait un peu plus son mal-être, intériorisant sa colère plutôt que d'avouer ce qui se passait; Après tout, elle était si peu de chose, et nouvelle en plus, et se plaindre des contrebandiers -dont elle faisait parti- ne servait à rien. Autant se taire et être dilligeante, car Pandore avait besoin d'elle. Frigg ressentait tellement le besoin de soigner la Vivenef, qu'une horrible empathie déformée fini par la prendre au fil des semaines, compatissant et pleurant à moitié quand elle trouvait un gros dégât. Si au fil du temps elle aurait du commencer à se rapprocher des gens, ce fut le contraire, se rapprochant de Pandore, préférant rester dans ses consoles, câbles et conduits. C'était là où elle se sentait bien, là où elle avait le sentiment d'être utile.
Son travail de maintenance était exemplaire, tout à fait remarquable de par sa minutie et sa rapidité d'exécution. Mais personne ne savait pourquoi cette jeune Ase presque inconnue de l'équipage travaillait avec un tel acharnement, ni même qu'elle était en train de complètement sacrifier sa santé, glissant de plus en plus dans la dépression, virant insomniaque, oubliant de manger... C'est peut-être ça l'Amour, avec un grand "A", c'est la dévotion à l'être cher. Car après tout Frigg aimait Pandore, et qui y'a t'il de plus normal que d'être au chevet de la personne que vous aimez, quand elle est blessée?
Dernière édition par le Jeu 14 Fév 2008 - 4:15, édité 7 fois