Arthur Savarelli, jeune sous-lieutenant à l’astrogation, fraîchement sorti de l’École des Officiers Spatiaux d’Avalon, se pavanait dans les couloirs de la base Balor, fort de son nouveau grade. Incapable de ne pas se sentir infiniment fier de lui-même, un sourire supérieur ornait ses lèvres fines. N’était-il pas parfait ? Oui, Arthur était un beau jeune homme, à l’allure à la fois sportive et élégante, oui, il avait une intelligence hors norme et venait de sortir premier de sa promotion à l’EOSA. Il ne se sentait pas meilleur que les autres sans raison. Certes, cette confiance en lui était sans doute due en partie à ses origines prestigieuses. Mais il avait travaillé dur pour en arriver là, personne ne pouvait le nier. Son professeur de mathématiques le disait bien : Arthur était presque parfait. Bon, il disait aussi qu’il ne restait plus qu’à apprendre l’humilité. Et il avait ajouté qu’il passait la main aux supérieurs du jeune homme à bord de Balor. Mais Arthur n’en voyait pas vraiment l’utilité et pour le peu qu’il en avait vu, ses supérieurs n’avaient rien de si terrifiant.
C’était donc confiant que le jeune homme, après avoir posé ses affaires dans sa cabine, se dirigeait vers les vestiaires du gymnase de la station Balor. La porte automatique s’ouvrit sur son passage et les néons des vestiaires s’allumèrent un à un. La pièce, oblongue, munie de bancs, de casiers et de douches, était déserte. Avec célérité, Arthur se débarrassa de son uniforme pour enfiler un survêtement. Il prévoyait de faire de la barre fixe. Arthur aimait la gymnastique. Pourquoi ? Simplement, il excellait dans ce sport. Il était le champion de l’école. « Une vraie tête à claques » disait son professeur de mathématiques.
Une fois changé, Arthur lança une petite serviette sur son épaule et sortit des vestiaires du côté du gymnase. Et celui-ci était… Pour le moins impressionnant. Arthur savait que Balor était une base immense et qu’il devait s’attendre à voir une salle d’entraînement à la mesure du bâtiment. Mais la vaste pièce dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer… Il y avait tout et en quantité non négligeable. Un grand espace de gymnastique avait été aménagé avec soin, il y avait des appareils de musculation, des terrains de sports collectifs et une grande piscine.
C’est par celle-ci que son attention fut attirée : il n’était pas seul. Une jeune femme, une Shitennô, s’apprêtant à plonger, le regardait entrer. Quand le regard d’Arthur se posa sur elle, elle se détourna et plongea. C’était un plongeon parfait et silencieux comme Arthur n’aurait jamais été capable d’en faire. On disait que les Shitennô nageaient avec une aisance et une rapidité déconcertantes. Il s’approcha du bassin afin de profiter de l’occasion pour admirer ce fameux spectacle.
À sa grande surprise, lorsqu’il arriva au bord de l’eau, la Shitennô avait déjà terminé sa longueur. Arthur ferma bien vite la bouche et chassa l’expression impressionnée de son visage tandis que la jeune femme émergeait de l’eau. Elle agrippa l’échelle métallique et sortit de l’eau aussi rapidement et aussi légèrement qu’elle y était entrée. Elle attrapa une serviette blanche et s’approcha du jeune homme avec un sourire aimable aux lèvres. Elle avait l’air très douce et gentille. C’était curieux de se dire qu’elle était militaire. Elle portait un maillot de bain très simple, noir et ses cheveux étaient relevés pour ne pas la gêner.
La jeune femme s’arrêta devant lui et le regarda avec attention. Au bout d’un moment, elle plaça ses poings sur ses hanches et déclara d’une voix mélodieuse :
« Eh bien, Sous-lieutenant Savarelli… ? »
Hein ? Que voulait-elle dire ? Et comment le connaissait-elle ? Lui ne l’avait jamais vu. D’ailleurs, quel était son grade ?
Arthur, après un instant d’égarement, reprit bien vite contenance. S’il ne voulait pas commettre d’impair, il devait être fixé le plus rapidement possible.
« Pardonnez-moi, madame, mais puis-je vous demander votre nom ainsi que votre grade ? »
La jeune femme accentua son sourire et eut un hochement de tête à peine perceptible.
« Bien sûr. Mon nom est Bishamon-Ten et mon prénom est Weena. On me surnomme la Douce et certains vont jusqu’à Maman ou Grande Sœur. Mais pour vous, ce sera « Lieutenant ». »
Ni une, ni deux, Arthur se mit au garde-à-vous. Ainsi, cette belle jeune femme était son supérieur hiérarchique direct…
« Pardonnez-moi, Lieutenant.
- Ce n’est rien Savarelli, vous pouvez rompre. »
Le jeune homme s’exécuta avec un léger sourire aux lèvres, persuadé d’avoir fait bonne impression.
« Allons plutôt boire quelque chose à la cafétéria. »
Pour le coup, Arthur se sentit on ne peut plus à l’aise. Peut-être même qu’il avait un ticket…
Le Lieutenant Bishamon-Ten commença à faire quelques pas en direction du vestiaire des femmes. Mais elle s’arrêta et se retourna vers Arthur.
« Accepteriez-vous de m’aider à me changer, sous-lieutenant ? »
Quoi ? Qu’est-ce que c’était que ça ? Les joues du jeune officier s’empourprèrent. Etait-elle sérieuse ? Elle en avait tout l’air…
« Pardonnez-moi, Lieutenant, mais ne croyez-vous pas que cela serait un peu… déplacé ? »
La jeune femme gloussa.
« Détendez-vous, je plaisantais. »
Le lieutenant et le Sous-lieutenant (moyennement détendu), se séparèrent pour entrer dans leur vestiaire respectif. Arthur se changea aussi rapidement que précédemment, en se rendant compte que finalement, il n’aurait pas fait du tout de barre fixe. Mais son supérieur venait de lui proposer de boire quelque chose à la cafétéria et il ne pensait pas judicieux de la contrarier.
En sortant des vestiaires, il se rendit compte que le Lieutenant Bishamon-Ten n’était pas encore sorti. Il entreprit donc de l’attendre avec toute la patience du meilleur subordonné.
Au bout d’un quart d’heure, il commençait à se dire qu’il lui restait beaucoup à apprendre, tandis que Weena sortait des vestiaires des femmes avec un splendide sourire sur ses lèvres.
Le trajet jusqu’à la cafétéria se déroula dans un silence particulièrement pesant pour Arthur, mais apparemment pas du tout pour Weena. Cette Shitennô le mettait de plus en plus mal à l’aise. Il en venait à douter (un tout petit peu) de ses propres capacités ! Elle avait l’air si jeune… Pourtant, elle devait bien être plus vieille que lui. Ou alors… Elle était beaucoup plus douée que lui.
Cette pensée fit frissonner l’Enseigne.
Mais quel âge avait-elle ? Elle pouvait bien avoir vingt-cinq ans tout comme trente-cinq, Arthur aurait été incapable de se prononcer. En tout cas, elle ne pouvait être plus vieille, ni plus jeune.
Après un long parcours fait de couloirs et d’ascenseurs, les deux officier entrèrent enfin dans la cafétéria où ils s’installèrent à une petite table ronde. L’endroit était désert à cette heure-ci, tout comme le gymnase. Le personnel qui n’était pas de quart devait sans doute être en train de dormir.
Weena rompit enfin le silence, à la grande satisfaction d’Arthur. Elle s’accouda à la table et posa son menton sur ses mains, une expression toujours aussi douce sur son visage.
« Je vous sens… perplexe, Enseigne… »
Arthur fut de nouveau déstabilisé. Mais il se rappela qu’il était quelqu’un d’assuré et qu’il avait toutes les raisons de l’être.
« Oui, ce n’est pas faux… Vous paraissez si jeune… »
Il n’osait pas lui demander ouvertement son âge. Même si elle était Shitennô, il tenait à respecter les règles de politesse humaines.
« Ce n’est que cela ? Eh bien sachez et retenez que je suis née le 30 janvier 3300, selon votre calendrier. »
Arthur parvint avec difficulté à se retenir de déglutir. Il n’était pas rassuré, pourtant, il savait que sa mémoire était parfaite et qu’il se souviendrait de cette date.
Arthur se secoua intérieurement. Il ne devait pas s’inquiéter. Il était l’Enseigne le plus parfait dont on pouvait rêver. Aussi efficace qu’agréable. Bien sûr qu’il se souviendrait du jour de naissance de son officier supérieur.
Weena Bishamon-Ten était le Lieutenant d’astrogation de Balor. Ce poste pouvait sembler de moindre importance dans une base, mais sans elle, Balor ne serait sans doute qu’un débris inanimé perdu dans l’espace. Et elle allait avoir besoin de l’aide de Savarelli pour s’occuper de toutes les opérations d’appontement et de décollage, ce qui n’était pas une mince affaire. Balor était la plus grande forteresse spatiale de la galaxie.
Et sur quelles épaules retombaient la responsabilité de tout ce bazar ? Sur les frêles épaules d’une Shitennô douce et féminine.
Weena n’était pas très grande. Pas trop petite, non plus. Elle n’était pas imposante, ne semblait pas très solide. Pourtant, quand on était un peu observateur, on remarquait qu’elle pratiquait régulièrement la natation et qu’elle n’était pas dépourvue de muscles. Mais ce n’était pas des muscles secs, elle n’était pas maigre. Oui, elle était réellement féminine. Si son visage paraissait très jeune, son corps était bel et bien celui d’une femme mûre, avec des formes rondes, des courbes douces et régulières.
Arthur se surprit à admirer la façon dont son uniforme soulignait sa poitrine, sa taille, le creux de ses reins et ses hanches, tout en imaginant les plis de son pantalon s’accorder avec ses jambes longues et galbées, croisées sous la table.
Stop ! Il faisait quoi là ? Il était en train de mater sa supérieure ? Non, non, non, non, non ! Il devait arrêter ça tout de suite, détourner les yeux d’un air gêné, faire l’innocent. Voilà, exactement comme ça. Le lieutenant Bishamon-Ten sourit avec indulgence. Ouf ! Arthur ne devait regarder que son visage et uniquement son visage. Qu’elle avait très joli d’ailleurs. Arthur ne se sentit pas perdant au change.
L’expression de la douceur et de la féminité, c’était le visage de Weena, le visage d’une personne discrète, avec un petit nez et une petite bouche aux lèvres roses, le visage d’une personne généreuse, avec de grands yeux liquide, de la couleur de l’émeraude… Sans aucun doute, il s’agissait là du visage d’une princesse de conte de fée, pas d’un héros de Space Opera… Cette impression était d’ailleurs renforcée par la chevelure légère et ondulante, comme l’océan, qui flottait autour de ce visage, l’auréolant de turquoise.
Et sans qu’il s’en rende compte, Arthur avait laissé un nouveau silence s’installer. Et Weena Bishamon-Ten n’en semblait pas plus perturbée que précédemment.
Ce qu’Arthur Savarelli ne savait pas, c’était que Weena avait un secret. Un secret qui lui permettait de ne jamais s’ennuyer, d’avoir toujours l’air agréable. Elle pensait. Ou plutôt, elle rêvait. Pas à n’importe quoi, non. Elle rêvait à des choses qu’elle aimait, aux bons moments de sa vie, même lorsqu’ils étaient encadrés de moments difficiles.
Savarelli ressemblait à quelqu’un qu’elle avait connu il y avait longtemps. Cela le rendait sympathique à ses yeux, même si elle avait parfaitement conscience qu’il était un petit salaud prétentieux qui allait devoir bien vite mettre sa fierté là où elle pensait.
Il avait la même chevelure d’ébène, le même corps entraîné, la même virilité… Mais Renzo était tout sauf prétentieux.
Non, Lorenzo n’était pas prétentieux. Il se sentait bien humble face à cette Shitennô. Il avait cru en la voyant, qu’elle était douce et gentille. Elle l’était vraiment, mais l’image qu’il se faisait d’elle avait changée. Certaines heures permettent de mieux se connaître que d’autres. Et ce ne sont pas toujours celles qu’on pense.
Weena était attentive à tous ses subalternes. Et même à ses supérieurs, s’il le fallait. Tout le monde savait qu’on pouvait compter sur elle et tous étaient prompts à se confier à elle comme à leur mère. Pas Renzo. Bien sûr, il était d’accord sur le fait qu’elle était rassurante et qu’elle emporterait tous les secrets qu’elle accumulait dans sa tombe. Mais il était néanmoins persuadé qu’elle n’en pensait pas moins. Il sentait que son regard a priori doux et indulgent était en fait sévère et critique. Ne pas prendre en compte les erreurs passées d’un homme… Voilà un principe qui n’était pas des siens, il en était sûr. Et il comprenait, même si c’était parfois cruel. Weena avait quelque chose d’effrayant. Et cela fascinait complètement Renzo, même s’il en avait à peine conscience. Weena était également exigeante avec elle-même. Mais elle savait où se trouvaient ses propres limites et savait s’en accommoder. C’était une femme qui avait confiance en elle et pire, qui avait raison d’avoir confiance en elle.
Cependant, sa façade de gentillesse et de douceur était parfaite car sincère. Renzo pensait que dans d’autres conditions, il ne l’aurait pas percée à jour.
Le Major Mancini, sous le regard du Lieutenant Bishamon-Ten, se sentait nu et avait peur de décevoir.
Et Weena avait conscience de la clairvoyance du Major. Pour la première fois de sa vie, elle aussi avait peur de décevoir. Parce que le major lui plaisait… beaucoup. Elle le voulait. Mais elle était au courant, comme tout le détachement, de la relation qu’il existait entre le Major Mancini et le docteur Palovski. Elle n’était pas là pour briser des couples et n’avait pas le cœur à ça, même si elle n’aimait pas le docteur Palovski, cette petite gourde qui n’avait rien à faire dans l’armée. Oh, elle n’était pas méchante ! Elle était même attachante, avec sa sensibilité… Et puis elle était véritablement superbe. Mais elle ne tiendrait pas le coup. Elle finirait par craquer. Contrairement à Renzo. Il y aurait un clash. Un énorme clash. Ce serait sanglant. Non, Weena ne s’en réjouissait pas, loin de là.
Le docteur Helena Palovski en avait marre de cette putain de planète, avec sa putain de chaleur et sa putain d’humidité. Les blessures des hommes s’infectaient à une vitesse fulgurante. La promiscuité du campement en préfabriqué lui pesait. Les gémissements des blessés la répugnaient. Mais elle tenait le rythme.
Elle était entrée dans l’armée car elle avait soif d’action et d’hommes virils et courageux. Et elle s’était alors rendu compte à quel point la vie était dure et à quel point les hommes étaient douillets. Tous des lopettes ! Sauf Renzo, bien entendu. Helena avait la chance, elle était tombée sur la perle rare. Renzo n’était pas faible, lâche, impulsif et stupide. Il était fort, courageux, calme et réfléchi. Autant de qualités féminines qui le rendaient pourtant tellement viril.
Un nouvel homme mourrait entre ses mains. Elle se mordit la lèvre inférieure. Elle savait parfaitement qu’elle ne pouvait pas faire mieux et que rares étaient ceux qui le pouvaient, mais la culpabilité restait. Elle passa à son patient suivant. Elle était tellement fatiguée. Helena jeta un regard par-dessus le simple paravent qui séparait l’infirmerie du reste du campement, afin de trouver du réconfort dans le terrible sourire de Renzo. Elle ne croisa que le doux regard de Weena. Elle fut prise d’une subite envie d’aller pleurer dans ses bras, mais elle se reprit rapidement. Elle avait encore cinq hommes à sauver.
C’était sur B6C54. La Catastrophe B6C54.
C’était donc confiant que le jeune homme, après avoir posé ses affaires dans sa cabine, se dirigeait vers les vestiaires du gymnase de la station Balor. La porte automatique s’ouvrit sur son passage et les néons des vestiaires s’allumèrent un à un. La pièce, oblongue, munie de bancs, de casiers et de douches, était déserte. Avec célérité, Arthur se débarrassa de son uniforme pour enfiler un survêtement. Il prévoyait de faire de la barre fixe. Arthur aimait la gymnastique. Pourquoi ? Simplement, il excellait dans ce sport. Il était le champion de l’école. « Une vraie tête à claques » disait son professeur de mathématiques.
Une fois changé, Arthur lança une petite serviette sur son épaule et sortit des vestiaires du côté du gymnase. Et celui-ci était… Pour le moins impressionnant. Arthur savait que Balor était une base immense et qu’il devait s’attendre à voir une salle d’entraînement à la mesure du bâtiment. Mais la vaste pièce dépassait tout ce qu’il avait pu imaginer… Il y avait tout et en quantité non négligeable. Un grand espace de gymnastique avait été aménagé avec soin, il y avait des appareils de musculation, des terrains de sports collectifs et une grande piscine.
C’est par celle-ci que son attention fut attirée : il n’était pas seul. Une jeune femme, une Shitennô, s’apprêtant à plonger, le regardait entrer. Quand le regard d’Arthur se posa sur elle, elle se détourna et plongea. C’était un plongeon parfait et silencieux comme Arthur n’aurait jamais été capable d’en faire. On disait que les Shitennô nageaient avec une aisance et une rapidité déconcertantes. Il s’approcha du bassin afin de profiter de l’occasion pour admirer ce fameux spectacle.
À sa grande surprise, lorsqu’il arriva au bord de l’eau, la Shitennô avait déjà terminé sa longueur. Arthur ferma bien vite la bouche et chassa l’expression impressionnée de son visage tandis que la jeune femme émergeait de l’eau. Elle agrippa l’échelle métallique et sortit de l’eau aussi rapidement et aussi légèrement qu’elle y était entrée. Elle attrapa une serviette blanche et s’approcha du jeune homme avec un sourire aimable aux lèvres. Elle avait l’air très douce et gentille. C’était curieux de se dire qu’elle était militaire. Elle portait un maillot de bain très simple, noir et ses cheveux étaient relevés pour ne pas la gêner.
La jeune femme s’arrêta devant lui et le regarda avec attention. Au bout d’un moment, elle plaça ses poings sur ses hanches et déclara d’une voix mélodieuse :
« Eh bien, Sous-lieutenant Savarelli… ? »
Hein ? Que voulait-elle dire ? Et comment le connaissait-elle ? Lui ne l’avait jamais vu. D’ailleurs, quel était son grade ?
Arthur, après un instant d’égarement, reprit bien vite contenance. S’il ne voulait pas commettre d’impair, il devait être fixé le plus rapidement possible.
« Pardonnez-moi, madame, mais puis-je vous demander votre nom ainsi que votre grade ? »
La jeune femme accentua son sourire et eut un hochement de tête à peine perceptible.
« Bien sûr. Mon nom est Bishamon-Ten et mon prénom est Weena. On me surnomme la Douce et certains vont jusqu’à Maman ou Grande Sœur. Mais pour vous, ce sera « Lieutenant ». »
Ni une, ni deux, Arthur se mit au garde-à-vous. Ainsi, cette belle jeune femme était son supérieur hiérarchique direct…
« Pardonnez-moi, Lieutenant.
- Ce n’est rien Savarelli, vous pouvez rompre. »
Le jeune homme s’exécuta avec un léger sourire aux lèvres, persuadé d’avoir fait bonne impression.
« Allons plutôt boire quelque chose à la cafétéria. »
Pour le coup, Arthur se sentit on ne peut plus à l’aise. Peut-être même qu’il avait un ticket…
Le Lieutenant Bishamon-Ten commença à faire quelques pas en direction du vestiaire des femmes. Mais elle s’arrêta et se retourna vers Arthur.
« Accepteriez-vous de m’aider à me changer, sous-lieutenant ? »
Quoi ? Qu’est-ce que c’était que ça ? Les joues du jeune officier s’empourprèrent. Etait-elle sérieuse ? Elle en avait tout l’air…
« Pardonnez-moi, Lieutenant, mais ne croyez-vous pas que cela serait un peu… déplacé ? »
La jeune femme gloussa.
« Détendez-vous, je plaisantais. »
Le lieutenant et le Sous-lieutenant (moyennement détendu), se séparèrent pour entrer dans leur vestiaire respectif. Arthur se changea aussi rapidement que précédemment, en se rendant compte que finalement, il n’aurait pas fait du tout de barre fixe. Mais son supérieur venait de lui proposer de boire quelque chose à la cafétéria et il ne pensait pas judicieux de la contrarier.
En sortant des vestiaires, il se rendit compte que le Lieutenant Bishamon-Ten n’était pas encore sorti. Il entreprit donc de l’attendre avec toute la patience du meilleur subordonné.
Au bout d’un quart d’heure, il commençait à se dire qu’il lui restait beaucoup à apprendre, tandis que Weena sortait des vestiaires des femmes avec un splendide sourire sur ses lèvres.
Le trajet jusqu’à la cafétéria se déroula dans un silence particulièrement pesant pour Arthur, mais apparemment pas du tout pour Weena. Cette Shitennô le mettait de plus en plus mal à l’aise. Il en venait à douter (un tout petit peu) de ses propres capacités ! Elle avait l’air si jeune… Pourtant, elle devait bien être plus vieille que lui. Ou alors… Elle était beaucoup plus douée que lui.
Cette pensée fit frissonner l’Enseigne.
Mais quel âge avait-elle ? Elle pouvait bien avoir vingt-cinq ans tout comme trente-cinq, Arthur aurait été incapable de se prononcer. En tout cas, elle ne pouvait être plus vieille, ni plus jeune.
Après un long parcours fait de couloirs et d’ascenseurs, les deux officier entrèrent enfin dans la cafétéria où ils s’installèrent à une petite table ronde. L’endroit était désert à cette heure-ci, tout comme le gymnase. Le personnel qui n’était pas de quart devait sans doute être en train de dormir.
Weena rompit enfin le silence, à la grande satisfaction d’Arthur. Elle s’accouda à la table et posa son menton sur ses mains, une expression toujours aussi douce sur son visage.
« Je vous sens… perplexe, Enseigne… »
Arthur fut de nouveau déstabilisé. Mais il se rappela qu’il était quelqu’un d’assuré et qu’il avait toutes les raisons de l’être.
« Oui, ce n’est pas faux… Vous paraissez si jeune… »
Il n’osait pas lui demander ouvertement son âge. Même si elle était Shitennô, il tenait à respecter les règles de politesse humaines.
« Ce n’est que cela ? Eh bien sachez et retenez que je suis née le 30 janvier 3300, selon votre calendrier. »
Arthur parvint avec difficulté à se retenir de déglutir. Il n’était pas rassuré, pourtant, il savait que sa mémoire était parfaite et qu’il se souviendrait de cette date.
Arthur se secoua intérieurement. Il ne devait pas s’inquiéter. Il était l’Enseigne le plus parfait dont on pouvait rêver. Aussi efficace qu’agréable. Bien sûr qu’il se souviendrait du jour de naissance de son officier supérieur.
Weena Bishamon-Ten était le Lieutenant d’astrogation de Balor. Ce poste pouvait sembler de moindre importance dans une base, mais sans elle, Balor ne serait sans doute qu’un débris inanimé perdu dans l’espace. Et elle allait avoir besoin de l’aide de Savarelli pour s’occuper de toutes les opérations d’appontement et de décollage, ce qui n’était pas une mince affaire. Balor était la plus grande forteresse spatiale de la galaxie.
Et sur quelles épaules retombaient la responsabilité de tout ce bazar ? Sur les frêles épaules d’une Shitennô douce et féminine.
Weena n’était pas très grande. Pas trop petite, non plus. Elle n’était pas imposante, ne semblait pas très solide. Pourtant, quand on était un peu observateur, on remarquait qu’elle pratiquait régulièrement la natation et qu’elle n’était pas dépourvue de muscles. Mais ce n’était pas des muscles secs, elle n’était pas maigre. Oui, elle était réellement féminine. Si son visage paraissait très jeune, son corps était bel et bien celui d’une femme mûre, avec des formes rondes, des courbes douces et régulières.
Arthur se surprit à admirer la façon dont son uniforme soulignait sa poitrine, sa taille, le creux de ses reins et ses hanches, tout en imaginant les plis de son pantalon s’accorder avec ses jambes longues et galbées, croisées sous la table.
Stop ! Il faisait quoi là ? Il était en train de mater sa supérieure ? Non, non, non, non, non ! Il devait arrêter ça tout de suite, détourner les yeux d’un air gêné, faire l’innocent. Voilà, exactement comme ça. Le lieutenant Bishamon-Ten sourit avec indulgence. Ouf ! Arthur ne devait regarder que son visage et uniquement son visage. Qu’elle avait très joli d’ailleurs. Arthur ne se sentit pas perdant au change.
L’expression de la douceur et de la féminité, c’était le visage de Weena, le visage d’une personne discrète, avec un petit nez et une petite bouche aux lèvres roses, le visage d’une personne généreuse, avec de grands yeux liquide, de la couleur de l’émeraude… Sans aucun doute, il s’agissait là du visage d’une princesse de conte de fée, pas d’un héros de Space Opera… Cette impression était d’ailleurs renforcée par la chevelure légère et ondulante, comme l’océan, qui flottait autour de ce visage, l’auréolant de turquoise.
Et sans qu’il s’en rende compte, Arthur avait laissé un nouveau silence s’installer. Et Weena Bishamon-Ten n’en semblait pas plus perturbée que précédemment.
Ce qu’Arthur Savarelli ne savait pas, c’était que Weena avait un secret. Un secret qui lui permettait de ne jamais s’ennuyer, d’avoir toujours l’air agréable. Elle pensait. Ou plutôt, elle rêvait. Pas à n’importe quoi, non. Elle rêvait à des choses qu’elle aimait, aux bons moments de sa vie, même lorsqu’ils étaient encadrés de moments difficiles.
Savarelli ressemblait à quelqu’un qu’elle avait connu il y avait longtemps. Cela le rendait sympathique à ses yeux, même si elle avait parfaitement conscience qu’il était un petit salaud prétentieux qui allait devoir bien vite mettre sa fierté là où elle pensait.
Il avait la même chevelure d’ébène, le même corps entraîné, la même virilité… Mais Renzo était tout sauf prétentieux.
Non, Lorenzo n’était pas prétentieux. Il se sentait bien humble face à cette Shitennô. Il avait cru en la voyant, qu’elle était douce et gentille. Elle l’était vraiment, mais l’image qu’il se faisait d’elle avait changée. Certaines heures permettent de mieux se connaître que d’autres. Et ce ne sont pas toujours celles qu’on pense.
Weena était attentive à tous ses subalternes. Et même à ses supérieurs, s’il le fallait. Tout le monde savait qu’on pouvait compter sur elle et tous étaient prompts à se confier à elle comme à leur mère. Pas Renzo. Bien sûr, il était d’accord sur le fait qu’elle était rassurante et qu’elle emporterait tous les secrets qu’elle accumulait dans sa tombe. Mais il était néanmoins persuadé qu’elle n’en pensait pas moins. Il sentait que son regard a priori doux et indulgent était en fait sévère et critique. Ne pas prendre en compte les erreurs passées d’un homme… Voilà un principe qui n’était pas des siens, il en était sûr. Et il comprenait, même si c’était parfois cruel. Weena avait quelque chose d’effrayant. Et cela fascinait complètement Renzo, même s’il en avait à peine conscience. Weena était également exigeante avec elle-même. Mais elle savait où se trouvaient ses propres limites et savait s’en accommoder. C’était une femme qui avait confiance en elle et pire, qui avait raison d’avoir confiance en elle.
Cependant, sa façade de gentillesse et de douceur était parfaite car sincère. Renzo pensait que dans d’autres conditions, il ne l’aurait pas percée à jour.
Le Major Mancini, sous le regard du Lieutenant Bishamon-Ten, se sentait nu et avait peur de décevoir.
Et Weena avait conscience de la clairvoyance du Major. Pour la première fois de sa vie, elle aussi avait peur de décevoir. Parce que le major lui plaisait… beaucoup. Elle le voulait. Mais elle était au courant, comme tout le détachement, de la relation qu’il existait entre le Major Mancini et le docteur Palovski. Elle n’était pas là pour briser des couples et n’avait pas le cœur à ça, même si elle n’aimait pas le docteur Palovski, cette petite gourde qui n’avait rien à faire dans l’armée. Oh, elle n’était pas méchante ! Elle était même attachante, avec sa sensibilité… Et puis elle était véritablement superbe. Mais elle ne tiendrait pas le coup. Elle finirait par craquer. Contrairement à Renzo. Il y aurait un clash. Un énorme clash. Ce serait sanglant. Non, Weena ne s’en réjouissait pas, loin de là.
Le docteur Helena Palovski en avait marre de cette putain de planète, avec sa putain de chaleur et sa putain d’humidité. Les blessures des hommes s’infectaient à une vitesse fulgurante. La promiscuité du campement en préfabriqué lui pesait. Les gémissements des blessés la répugnaient. Mais elle tenait le rythme.
Elle était entrée dans l’armée car elle avait soif d’action et d’hommes virils et courageux. Et elle s’était alors rendu compte à quel point la vie était dure et à quel point les hommes étaient douillets. Tous des lopettes ! Sauf Renzo, bien entendu. Helena avait la chance, elle était tombée sur la perle rare. Renzo n’était pas faible, lâche, impulsif et stupide. Il était fort, courageux, calme et réfléchi. Autant de qualités féminines qui le rendaient pourtant tellement viril.
Un nouvel homme mourrait entre ses mains. Elle se mordit la lèvre inférieure. Elle savait parfaitement qu’elle ne pouvait pas faire mieux et que rares étaient ceux qui le pouvaient, mais la culpabilité restait. Elle passa à son patient suivant. Elle était tellement fatiguée. Helena jeta un regard par-dessus le simple paravent qui séparait l’infirmerie du reste du campement, afin de trouver du réconfort dans le terrible sourire de Renzo. Elle ne croisa que le doux regard de Weena. Elle fut prise d’une subite envie d’aller pleurer dans ses bras, mais elle se reprit rapidement. Elle avait encore cinq hommes à sauver.
C’était sur B6C54. La Catastrophe B6C54.